Au mois de novembre, Joker a fait route de Marseille à Tenerife. Des conditions très difficiles dans toute la Méditerranée avec du vent d’ouest très fort obligeant à serrer la côte de près. Après cinq jours d’attente à Gibraltar, la descente aux Canaries a été agréable et rapide avec de bons moments sous spinnaker.
En décembre, le bateau est resté à Santa Cruz de Tenerife, pour une traversée de l’Atlantique programmée en janvier.
Le départ de Tenerife s’est fait encore dans des conditions très sportives avec des vents de nord est atteignant les trente noeuds et une mer forte. Descente dans le sud le premier jour pour éviter les d’évents importants dûs au Teide (3700m), et trouver un vrai Alizé.
Dimanche 12 janvier, au quatrième jour de la traversée, Joker fait sa trace régulièrement dans l’océan à une moyenne de six noeuds. Toujours pas très chaud, ciel couvert, il nous tarde de trouver du soleil et des poissons volants !
Joker est maintenant à mi parcours de la Guadeloupe. Poussé par un Alizé soutenu, ce début de traversée sous foc tangoné et voile arrisée s’est fait dans un inconfort total, avec des moments exceptionnels de glissades dans les surfs, de ciels et de couchers de soleil fantastiques.
La douceur qui s’installe (prise de la première daurade coryphenes !) nous fait maintenant rêver à l’arrivée sous les tropiques. Ayant poussé dans le sud assez tôt pour éviter deux zones sans vent, le moteur nous aide pour traverser une autre bulle bleue.
La belle carte du SHOM baptisée « Route du Rhum » qui ne peut tenir dépliée sur ma table à carte est maintenant tournée du côté de l’arrivée avec les Antilles. Presque honte d’avouer naviguer avec beaucoup de plaisir sur des cartes « blanches » Mercator, en papier, mais j’assume.
Hervé Lopez
Joker / dimanche 26 janvier / Oh combien de marins combien de capitaine l’ont traversé, dure et bien douce fortune. Cet océan sans fond, par vingt nuits et une lune. Petites infos techniques et diverses : route directe théorique (loxodromie) Ténérife/La Désirade 2575 milles au 265. Par rapport aux fichiers météo Grib reçus via tél satellite et application Weather4D, avons choisi une route plus sud pour éviter zones de calme. Points virtuels espacés de 600 milles. Route souhaitée à 2727 milles soit 152 de plus. Mais la route suivie réellement à ce jour (tiré des bords vent arrière avec empannage à répétition) nous a déjà fait parcourir 147 milles de plus. Donc 299 milles de plus par rapport à la directe. Notre moyenne / jour = 144 milles. Plus de 2 jours. Prix à payer pour le meilleur compromis entre vent /vitesse /distance parcourue /confort fatigues bateau et équipage. Déjà 14 jours sous tangon dont 10 jours non stop. Mer forte et confuse + grosse houle ( 6 à 7 m au plus fort) = pas besoin d’aller au cours de steppes en rentrant. Quart de 3 heures. 8 à 9 heures de barre par homme et par jour le plus souvent debout. Equipier supplémentaire la nuit en la personne de monsieur le pilote auto. Barre mieux que nous, surtout par nuit noire sans horizon (perte des repères dans l’espace et 3 heures au compas dans une mer formée en veillant à ne pas empanner = pas tenable). Monsieur est grand consommateur d’énergie, jusqu’à 3 ampères par heure. Donc démarrage moteur 1 heure tous les 2 jours. Panneau solaire 100w qui peut fournir au mieux un appoint de 2 A en plein soleil. Cette nuit batterie moteur nous a lâchés. Remplacée par une des 2 batteries de servitude (servent pour pilote/instruments/feux…). Opération sportive. Hier réparation de 2 coulisseaux de grand voile. Haute couture Chanel mais avec une aiguille capable de percer un mur et un fil auquel on pourrait se pendre. Navigation astro/droites de soleil histoire de remonter 30 ans en arrière mais à 2m au dessus de l’horizon et avec 2m de creux cela rend l’exercice délicat par rapport aux passerelles perchées (35m) des cargos de nos débuts. Points portés sur les cartes toutes blanches dites projection mercator. Les quarts de nuit sous ses latitudes permettent de réapprendre les étoiles (Régulus, Arcturus, Castor et Pollux, la croix du sud, la chèvre, l’épi, la perle…) sans oublier celle qui voudrait bien en être une, celle du berger = Vénus. Pêché de 2 belles dorades (60 et 70 cm). Filets dans l’assiette 1 heure après. Menus chauds midi et soir. Menu “Joker” = pâtes sauce tomate + oignons ail saucisson ou chorizo à la poêle et on mélange le tout. Une part dans une assiette et l’autre restant dans la casserole. Dégustation à la cuillère. Menu découverte riz maquereaux vin blanc moules où patates en “dé” lardons, enfin menu de gala = la dorade évidement (citron huile d’olive). Cabine propriétaire de l’avant, à oublier idem pour la cabine ar, il reste les 2 suites sur le même palier du carré suivant la gîte. La Bd dite suite toison d’or (serviette éponge jaune protégeant le tissu banquette) et la Td dite suite arc en ciel (serviette multicolore). Banette chaude comme dans les sous marins. Visites régulières des dauphins. Pur bonheur. Arc en ciel complet avec ses 2 pieds bien ancrés dans l’océan = grandiose. Record de vitesse du Joker battu dans un surf sous 3 ris le premier jour = 15,4 noeuds. Pas mal pour un 36 pieds. Pas de radio donc pas de nouvelles de la planète terre. Se sentir se voir se mouvoir seuls au centre de ce cercle de bleu jamais identique vous donne l’impression d’être un géant tout petit petit. On a du temps pour penser au temps passé à sa vie, ses erreurs, à ceux qui sont partis et à ceux qu’on aime et sous une voûte céleste de toute beauté, on pleure parfois… des larmes étoilées.
Reste 430 milles jusqu’à la Désirade, atterrissage pour la Guadeloupe, les derniers jours et dernières nuits en mer. C’est bon de sentir la terre de pouvoir renouer les contacts.
Bises à tous.